Comme nous pardonnons aussi

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Comme nous pardonnons aussi

Causalité
Le «Notre Père» conditionne le pardon divin au fait que les humains soient également cléments. A la Réforme, on lie le «délivre-nous du mal» à cette exigence. Le pardon est impossible sans l’aide de Dieu. D’autres auteurs insistent sur le fait que si le pardon est donné, le fidèle doit en tirer les conséquences.

François Dermange, professeur d’éthique, Faculté de théologie, Université de Genève

«Au cœur du ‹Notre Père›, il y a cette demande: ‹Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.› Cette formule pose un lien entre le pardon humain et le pardon divin», constate François Dermange, professeur d’éthique à Genève. «La traduction française emploie le mot ‹comme›, et on a assez envie d’interpréter ce texte dans le sens que le pardon divin précède le pardon humain», reconnaît l’éthicien. Une logique que l’on retrouve dans plusieurs textes bibliques tels que la parabole du serviteur impitoyable dans Matthieu 18. 

La difficulté, c’est que dans le cas du «Notre Père» qui apparaît dans les Evangiles de Matthieu et de Luc, ce n’est pas ce que dit le texte. Chez le premier, il est suivi de l’affirmation «En effet, si vous pardonnez aux autres leurs fautes, votre Père qui est au ciel vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux autres, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes» (Mt 6, 14-15). «Quant à Luc, il renforce cette idée par un lien causal», prévient François Dermange. Dans les traductions, le «Notre Père» de Luc contient bien un «car» à la place du «comme»: «Pardonne-nous nos péchés, car nous pardonnons nous-mêmes à tous ceux qui nous ont fait du tort» (Luc 11, 4).

Amour divin premier

«Cette idée-là est effrayante, parce que si le pardon de Dieu est conditionné à notre pardon humain, d’une part cela ruine l’annonce de l’amour inconditionnel de Dieu, qui est pourtant au cœur de la bonne nouvelle du salut, en tous les cas dans une perspective protestante. Et puis, si le pardon divin est à la mesure de notre pardon humain, c’est mal emmanché», ironise le chercheur. 

Alors, comment comprendre ce texte? Plusieurs réponses ont été données: dans le déroulé du récit, «le ‹Notre Père› est précédé par l’annonce de la miséricorde première du Père. Et on peut aussi dire que dans l’Evangile de Luc, le ‹Notre Père› n’est pas enseigné à la foule, mais seulement aux disciples, eux qui savent bien que l’amour divin est premier. C’est comme ça que l’on va comprendre la version de Luc du ‹Notre Père› au début du christianisme, en particulier chez Clément de Rome». «Mais on peut se dire aussi qu’en fait on ne peut pas comprendre vraiment le ‹Notre Père› si on ne le lit pas dans son ensemble. C’est-à-dire avec le ‹délivre-nous du mal›. C’est une reconnaissance du fait que l’on n’est pas capables de pardonner, du moins pas comme Dieu pardonne. C’est comme ça que l’on va traiter cette question au moment de la Réforme. ‹Dieu, écrit Luther, nous pardonne nos péchés sans même et avant même que nous le lui demandions›. Et Calvin renchérit: ‹Si l’on prie Dieu qu’il nous remette nos dettes, c’est bien que nous ne pouvons pas les rembourser›.»

Condition au pardon divin

« Mais dans le ‹ Notre Père › figure bel et bien cette condition au pardon divin. Dans une perspective protestante, on va comprendre cela en disant que s’il est donné gratuitement, le pardon exige un retour. Le ‹ comme nous pardonnons › entraîne en quelque sorte une obligation. C’est quelque chose que l’on n’a plus tellement l’habitude d’entendre dans nos Eglises, mais qui était très fort au XVIe siècle. On appelait alors ‹ impénitent › celui qui a reçu la grâce, mais qui n’en tire aucune conséquence. Il se coupe ainsi du pardon divin », relate le chercheur. « Même chez Paul, qui parle de la justification par la foi, à la fin des temps, chacun est jugé selon ses œuvres. C’est quelque chose qui dérange les protestants, mais qui est dans le texte biblique. »

Pour aller plus loin 

François Dermange recommande de relire le Nouveau Testament et de comparer. Par exemple, comparer ce qu’écrivent Matthieu et Luc.